L’histoire de l’escalade – La naissance d’un sport et des premières compétitions

L’histoire de l’escalade – La naissance d’un sport et des premières compétitions

Mes articles dédiés à l’escalade sont tirés de mon étude de recherche de master, durant 2 années, sur la pratique de l’escalade et l’environnement. A l’issue de cette ethnographie des grimpeurs, j’ai considéré que les analyses, les réflexions et tous les discours recensés des chercheurs, des sportifs, des grimpeurs eux-mêmes seraient (peut-être) une source d’inspiration pour l’avenir de cette pratique et de ses pratiquants.

Quoi qu’il en soit, transmettre cette riche expérience de conversations et d’écriture à pour but de mettre en lumière la relation entre l’homme et la nature, puisqu’ils cohabitent ensemble. Mais surtout, il semble important de se souvenir que nous dépendons de la nature, tandis qu’elle, elle vit d’elle-même.

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L’escalade libre va permettre une transformation de la grimpe sur plusieurs niveaux, notamment la possibilité du progrès dans la difficulté. En effet, ce qui accompagne cette évolution, c’est le changement du statut de la chute en escalade, étudié par Gilles Rotillon qui écrit que : « Tant que l’équipement était éloigné et/ou peu sûr, la chute était interdite et considérée comme un échec. […] A partir du moment où l’équipement devient ‘‘béton’’, la chute devient un moyen de progression. En l’acceptant, le grimpeur atteint ses limites pour ensuite les repousser » (Rotillon, 2002 : 303).

Dans les formes contemporaines d’escalade, la chute est devenue une pratique courante et donne lieu à de nouveaux jeux. Tandis que dans les années 1970, « ailleurs et plus généralement en Europe occidentale, l’escalade libre telle qu’on la conçoit actuellement n’est pas implantée. La chute est encore considérée comme une faute, une éventualité à éviter à tout prix » (Chambre, 2018 : 71), de nos jours la relation à la chute et la verticalité a profondément changé. 

En devenant une discipline sportive, le rapport à la chute est passé d’une interdiction de chuter (par risque de mourir) à un jeu avec le vide et un passage obligé pour progresser : « Le grimpeur ne met plus sa vie en jeu et ne prend plus de risques dans le franchissement des obstacles qui le menaient, naguère, vers les cimes inexplorées. L’observation des pratiques sur les falaises et sur les murs artificiels d’escalade, ainsi que la prise en compte des discours des grimpeurs eux-mêmes montrent à quel point le risque est refusé. A l’inverse, si le risque est proscrit, la chute est devenue une des formes caractéristiques des jeux avec le vide de l’escalade. Contrairement à l’alpinisme, elle est techniquement permise et n’est plus un ‘‘accident’’ dans le déroulement du parcours. Plus que cela, elle fait l’objet d’une injonction majeure dans l’activité puisqu’il y règne une quasi-obligation de chuter, légitimée dans les discours par les nécessités de l’apprentissage » (de Léséleuc et Raufast, 2004 : 241).

Ce nouveau rapport à la chute conduit à une augmentation constante du niveau, avec l’entrée du 8e degré puis du 9e degré de difficulté. L’augmentation du niveau de l’escalade est devenue possible grâce à l’équipement moderne, plus solide, où les points sont moins éloignés et le risque amoindri. 

Avec l’évolution des modalités de pratiques de l’escalade, de l’alpinisme en passant par les « marginaux » des années 1970-1980, la dimension de performance a évolué, il s’opère une distinction entre une performance esthétique et une performance purement sportive.

Photo : Grimpeur français, Patrick Edlinger.

Les premières compétitions et la gestion fédérale

Pendant les débuts des premières compétitions, la notion du rapport à la nature, au corps et les valeurs véhiculées par le mouvement libériste développent une certaine conception de l’escalade : « Cette pratique symbolise la pureté d’un échange entre soi et la nature en limitant au maximum la présence de médiation technologique. D’où ce jeu subtil avec les cotations de voies qui pouvait aller jusqu’à ne pas révéler, pour ne pas se lier avec le monde sportif et la logique de la compétition. Edlinger, figure éponyme de ce mouvement à l’instar de Droyer, Cordier ou Berhault, a symbolisé le mieux cette approche de la pratique en réalisant des solos ‘‘pieds nus et mains nus’’ en falaise » (Corneloup, 2016 : 29). Certaines de ces valeurs vont mettre en évidence une opposition entre loisir et compétition, notamment par certains sportifs signant Le Manifeste des 19 en 1985, rejetant la compétition en escalade. 

Ce texte « qui affirme haut et fort que l’essence de l’escalade se trouve dans la recherche de la difficulté technique ou d’un engagement toujours croissants » (Chambre, 2018 : 132) s’inscrit dans le contexte des années 1980, période où l’escalade donne lieu pour la première fois en France à des compétitions officielles sous l’impulsion des instances fédérales, malgré une opposition de certains de ses pratiquants : « Les oppositions se cristallisent essentiellement autour de deux thèmes constituant les axes majeurs de l’activité fédérale : la mise en place d’un système compétitif à partir de 1985 et la gestion des sites naturels de pratique » (Aubel, 2005 : 15).

Les premières compétitions d’escalade datent de 1947. À cette époque, l’URSS organisait des compétitions qui combinaient une épreuve de « tracé d’itinéraire », semblable à la difficulté, et une épreuve de vitesse où les grimpeurs étaient assurés en moulinette par un câble d’acier.  Cependant, la première compétition moderne d’escalade est organisée le 7 juillet 1985 sur les falaises de Bardonecchia en Italie. Les vainqueurs sont Catherine Destivelle chez les femmes et Stefan Glowacz chez les hommes. L’année suivante, le succès est encore plus grand et la finale, remportée par les Français Patrick Edlinger et Catherine Destivelle. La même année, la France organise la première compétition en intérieur à Vaulx-en-Velin dans la banlieue lyonnaise. (Source : Wikipédia)

Chamonix, 2000. Source

Ce phénomène de « sportivisation » s’accompagne d’une institutionnalisation avec la création d’un comité d’escalade au sein de la Fédération Française de Montagne (FFM), créée en 1942 (Raspaud et Gora, 2006). Dans ce contexte, l’escalade montrée médiatiquement au grand public, marque les esprits et devient source de curiosité. Ce tournant médiatique conduit à une diversification de l’escalade libre où apparaissent des mouvements de codification, de marchandisation et d’institutionnalisation. Par conséquent, en 1985 une Fédération Française d’Escalade (FFE) est créée, par laquelle les libéristes tentent de se doter de structures propres. En effet, « la logique de la performance et du record implique de standardiser, réglementer, normaliser les conditions d’exécution de la performance ainsi que le geste sportif lui-même » (Arnaud, 1996 : 15). A partir de cette année- là, apparaissent les premières SAE en France pour permettre les compétitions. En 1987, après une scission éphémère, la Fédération Française d’Escalade (FFE) s’unit à la FFM donnant ainsi naissance à l’actuelle Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade (FFME).

Cette institutionnalisation concourt à l’émancipation de la discipline : « L’escalade passe du rang d’activité physique de loisir au statut de sport fédéré et réglementé » (Mangeant, 2008 : 17).

Photo : Grimpeur français, Patrick Edlinger.

N’hésitez pas à nous dire ce que vous avez pensés de l’article en commentaires ci-dessous 🙂 La suite de l’histoire de votre sport favori arrive bientôt, restez connectés !

Photo de couverture : Grimpeuse française, Catherine Destivelle.

Bibliographie (non exhaustive) :

Arnaud Pierre, 1996, « Le genre ou le sexe ? », in Arnaud Lionel et Arnaud Pierre (dir.), Le sport. Jeu et enjeux de sociétéRevue Problèmes politiques et sociaux, n°777, Paris, Éditions L’Harmattan, p. 174-177.

Aubel Olivier, 2005, L’escalade libre en France. Sociologie d’une prophétie sportive, Paris, Éditions L’Harmattan.

Chambre David, Le 9e degré, toute l’histoire de l’escalade, 2018, Les Houches, Éditions du Mont- Blanc.

Corneloup Jean, 2016, Sociologie des pratiques récréatives en nature. Du structuralisme à l’interactionnisme, L’Argentière-la-Bessée, Éditions du Fournel.

De Léséleuc Éric et Raufast Lionel, 2004, « Jeu de vertiges : l’escalade et l’alpinisme », Revue française de psychanalyse, n°68, p. 233-246.

Mangeant Éric, 2008, « Approche didactique de la gestion des risques en escalade : Etude comparative de plusieurs institutions », Thèse présentée pour le doctorat de l’Université Aix- Marseille I de formation système d’apprentissages, systèmes d’évaluation. Sous la direction d’Alain Mercier, 398p.

Raspaud Michel et Aurélien Gora, 2006, « Émergence des compétitions d’escalade en France (1980-1987). Genèse d’une offre fédérale », STAPS, n°71, p. 99-114.

Rotillon Gilles, 2002, « Alpinisme et escalade : rupture ou continuité », in Hoibian Olivier (dir.), Deux siècles d’alpinisme européens, Paris, Éditions L’Harmattan, p. 293-311.